Saviez-vous que la quasi-totalité des constructeurs (Denon, Onkyo, Yamaha & co) vous mentent sur la puissance réelle de leur ampli intégré audio/vidéo ? Allez, je prends le risque de me lancer pour tenter d’expliquer pourquoi et nous enchainerons ensuite sur l’intérêt des blocs de puissance. Cela fait suite à mon précédent article : Différences de qualité d’image ou de son entre 2 câbles HDMI ? où je m’amuse à partager les choses rigolotes que j’ai apprises pendant de nombreuses années à réaliser mes systèmes home cinéma.
Donc nous allons voir pourquoi quasiment toutes les marques vous mentent sur la puissance annoncée de leurs intégrés. Je vais également tâcher de partager les caractéristiques importantes à surveiller pour faire la différence entre les différents blocs de puissance. Merci aux pro et aux passionnés avertis de commenter et de corriger les éventuelles erreurs ou imprécisions que je pourrais faire, à l’aide d’informations sourcées bien sûr.
Les intégrés
Commençons par les intégrés. Comme leur nom l’indique, ils contiennent tout : une section pré-ampli, un écran d’affichage en façade, la carte HDMI, la carte réseau ainsi que des étages d’amplification. L’unique alimentation va donc devoir servir tout ce beau monde.
Par ailleurs, il faut revenir aux chiffres importants sur la manière de mesurer la puissance d’un ampli. La norme admise est de mesurer 2 canaux actifs sous 8 ohms, les gauche / droite, le tout soit sur une plage audio complète audible par l’être humain (20 Hz – 20 kHz) soit sur une fréquence donnée de medium (1 kHz), le tout avec une distorsion contenue.
Déjà, il faut savoir qu’il est beaucoup plus facile de donner de la puissance à 1 kHz que sur la plage complète utilisée en conditions normales. Sauf que beaucoup de marques (comme Denon, Yamaha, Marantz & co) trichent déjà à ce niveau en annonçant des produits soi-disant 7x160W (voir plus) mais ensuite donne la valeur de 160W sous 2 canaux actifs (voir parfois 1 seul !) à une fréquence particulière de 1 kHz avec un taux de distorsion important.
Alors que ce qui vous intéresse, c’est sa capacité à fournir suffisamment de puissance réelle (RMS), à faible distorsion sur l’ensemble des enceintes connectées, soit moins de 1% pour les moins bons et moins de 0.1% pour les meilleurs.
Démonstration par l’exemple avec un Denon « moyen de gamme », le 3800h : https://www.denon.com/fr-fr/product/av-receivers/avc-x3800h mais vous pouvez faire le même exercice avec votre ampli HC. Le Denon annonce fièrement 9 canaux de 180W. On peut légitimement penser que c’est énorme et largement suffisant pour driver la plupart des enceintes. Creusons un peu les spécifications.
Les 180W annoncés sont en fait sous 6 ohms (et donc pas 8 comme normalement attendu), à 1 kHz avec un seul canal actif le tout avec un taux de distorsion énorme de 10% ! Bref, une autre façon de le dire : il est peut-être capable d’envoyer un son horrible jusqu’à 180W si une seule enceinte est branchée, et c’est même potentiellement dangereux pour votre enceinte. Cette information est donc débile et inutile. Une annonce plus réaliste partagée dans les specs est qu’il affiche en fait 105W avec 2 canaux avec un taux de distorsion correct sous 8 ohms et une plage de fréquence complète. Continuons de creuser les spécifications.
On découvre que l’appareil consomme jusqu’à 660W. Je vous rappelle que c’est un intégré. Donc ces 660W vont être partagées entre les différentes sections de l’intégré ainsi qu’avec les étages de puissance. Pour finir, une partie de cette énergie est perdue en chaleur. Soyons super généreux et imaginons que seulement 30% de l’énergie soit perdue en chaleur (c’est en fait plus), il reste 462W utilisable. Imaginons que 20% soit dédié aux autres sections de l’intégré, il reste 370W pour les enceintes. Si les 9 canaux sont actifs, il faut potentiellement diviser ces 370W par 9 soit… 41W par enceintes. On est bien loin des 9x180W affichés par la marque ! Sachant que c’est plus compliqué que cela car il faudrait mesurer sur un signal propre. Pousser l’ampli à fond va générer de la distorsion et faire un signal écrêté qui peut détruire une enceinte.
Prenons maintenant un bon élève : Arcam. J’ai eu moi-même un Arcam AVR10 par le passé (mais j’aurai pu faire la même démonstration avec d’autres marques tout aussi sérieuses comme Nad ou Rotel) bien plus cher que le Denon 3800. Voici sa fiche technique : ARCAM AVR10 Spec.pdf.
On y découvre que non seulement la puissance sous 8 ohms, à faible distorsion et sur la plage complète de fréquence n’est « que » de 80W mais qu’avec 7 canaux actifs (avec un signal 1 kHz et un taux de distorsion plus élevé), nous sommes désormais à 65W. C’est déjà nettement plus honnête et réaliste même si ces chiffres semblent moins flatteurs que les chiffres bidons annoncés par Denon. Pour finir, la consommation maximum de l’Arcam est de… 1500W ! Au lieu des 660W affichés sur le Denon pour soi-disant 9x180W ! Arrivé à ce stade, j’imagine que vous aurez compris que l’on a des « vrais Watts » d’un côté et un vrai mytho de l’autre 😉
On imagine aussi que l’on doit être sûrement encore en dessous de 41W pour le Denon tous canaux actifs.
Déjà à ce niveau, vous voyez que l’on s’est déjà tous fait avoir par le marketing. Je trouve même que nous sommes très proches de la publicité mensongère. Et encore, je n’ai même par parlé de puissance en crête (max) ou puissance RMS… Pour résumé, faites attention aux valeurs et allez creuser le reste des specs !
En revanche, pour contre balancer, j’aimerai ajouter 2 choses importantes pour équilibrer ce constat :
– En fonction des enceintes utilisées (de petites biblio par exemple) et de leur nombre (un petit 5.1 par exemple), un intégré peut déjà être largement suffisant. Encore plus dans une petite pièce. Cependant, n’espérez pas correctement alimenter un système Atmos 7.1.4 avec un intégré.
– La puissance totale consommée est rarement la puissance max potentielle mais une puissance un peu « standard » ce qui nous empêche d’avoir une conclusion précise sur la vraie puissance au final de l’intégré. Pour cela, il faut du matériel spécial pour mesurer la sortie des amplis. Je vous invite à lire cet article de Audioholics comme toujours excellent à ce sujet : Receiver Power Consumption Rating vs Output Power Is Not Watt You Think! | Audioholics
Quelques articles et sources en complément :
– Puissance des amplificateurs et des enceintes : comment ne pas risquer l’endommagement (2020) – Le blog de Son-Vidéo.com (son-video.com)
– AV Receiver & Amplifier Power Ratings Explained | Home Cinema Guide (the-home-cinema-guide.com)
– Understanding Amplifier Power Output Specifications (lifewire.com)
Pour continuer, il est communément admis qu’il faut en général une puissance environ 2 fois supérieure à la puissance annoncées des enceintes. C’est effectivement moins dangereux d’avoir un ampli plus puissant que ses enceintes que l’inverse. Je sais cela peut paraitre contre intuitif mais cela est expliqué dans l’article de Son Video au-dessus.
Or, malheureusement, nous sommes beaucoup à commettre l’erreur de prendre des enceintes bien trop grosses (souvent des colonnes en LR et une centrale rikiki…), surdimensionnées par rapport à nos besoins et surtout à l’ampli. D’ailleurs, j’en profite pour rappeler que l’idéal en HC est d’avoir 3 fois la même enceinte en LCR et que des 2 voies sont souvent largement suffisantes, les basses étant gérées par le ou les caissons. Malheureusement, je vois bien trop souvent des systèmes avec des colonnes énormes et une centrale toute ridicule à côté. Les gens se plaignent alors de ne pas entendre correctement les dialogues. L’enceinte centrale est pourtant l’enceinte la plus importante en home cinéma, c’est sans aucun doute l’enceinte la plus sollicitée.
J’en profite aussi pour faire un autre rappel : plus l’on descend dans le bas du spectre des fréquences, plus cela consomme de l’énergie. Pour la faire courte, générer des basses demande bien plus d’énergie que des aigus. C’est donc surtout là que les blocs de puissance peuvent aider. Et c’est aussi pour ça que c’est dramatique de demander à un pauvre intégré de piloter vos colonnes configurées en « Large » car il n’a déjà pas beaucoup de puissance en réserve comme nous l’avons vu plus haut, vous l’essoufflez encore davantage plutôt que de laisser le caisson de basses faire son travail.
Les blocs de puissance
C’est pour toutes ces raisons que les blocs de puissance sont assez populaires et justifiés lorsque les enceintes commencent à être gourmandes ou trop nombreuses. L’intérêt du bloc de puissance est d’avoir une alimentation bien plus costaud permettant de soulager l’alimentation de l’intégré. Il semble admis qu’il faut au moins alimenter LR voir le LCR (Left Center Right) en bloc, surtout si des colonnes sont présentes. En effet, 80% de l’information sonore en HC vient de la scène avant, particulièrement de la centrale. Il faut donc les bichonner.
Petite pause. Tout cela va bien entendu dépendre de votre budget et vos attentes. Vous pouvez parfaitement vous satisfaire d’un intégré, ce fut mon cas pendant des années. Ayez juste conscience de sa « vraie puissance » (radicalement différente du mensonge marketing) et de ses limites si un jour vous souhaitez améliorer la qualité du son. Attention également à ne pas prendre des enceintes surdimensionnées. Tout est question d’équilibre.
Depuis le début, nous parlons de puissance, de Watts mais outre le taux de distorsion harmonique (THD) qui doit être le plus bas possible, il y a 3 autres facteurs ultra importants à regarder quand on prend un bloc de puissance :
– Le rapport signal / bruit, exprimé en dB (décibels). Plus cette valeur sera grande, meilleure sera la conception de l’appareil. Si cette valeur est trop faible, vous pouvez entendre un souffle / bruit de fond dans vos enceintes même lorsqu’aucun signal n’est joué. Inversement, un rapport SNR (Signal to Noise Ratio) élevé vous garantira l’absence de souffle sur les scènes calmes. Cela va également jouer en partie sur la dynamique perçue du signal, car le bas de la gamme risque d’être noyée dans le bruit de fond si le SND est mauvais. Les valeurs les moins bonnes des amplis bas de gamme tournent autour de 90/100 dB, les meilleurs peuvent monter jusqu’à plus 120 dB. Je vous rappelle d’ailleurs sur les décibels sont sur une échelle dite logarithmique et l’on considère que l’intensité sonore double tous les 3 dB. Donc entre le moins bon et le meilleur des blocs, l’intensité du bruit de fond peut être jusqu’à 10 fois supérieure.
– Le damping factor ou facteur de charge. Plus la valeur est élevée, meilleur sera le son. C’est la capacité de l’ampli à être capable de contrôler précisément les mouvements / oscillations du HP, surtout dans le registre du grave (ou les débattements du HP sont évidemment les plus importants). Pour tenter de faire simple, un bloc avec un DF faible va perdre le contrôle sur l’oscillation du HP là où un bloc avec un DF suffisamment haut pourra en quelque sorte l’activer et le stopper de manière nette le HP. Les moins bonnes valeurs de DF commencent autour de 100 pour aller jusqu’à plus de 1000.
– Slew rate représente la capacité d’un ampli à envoyer le courant le plus vite possible pour reproduire le plus fidèlement possible la courbe du signal que l’on lui demande de jouer. Le plus simple est de regarder le graphique et les explications (en anglais) de cet article : https://mynewmicrophone.com/what-is-amplifier-slew-rate…/. Les valeurs oscillent de 10 V/µs à plus de 60. Alors que le Damping Factor jouent plus sur l’amélioration des basses, le slew rate lui agit plus sur la reproduction fidèle des hautes fréquences.
Vous voyez donc que même si un bloc n’est pas censé « colorer » le son, ses caractéristiques intrinsèques vont malgré tout jouer sur la qualité globale perçue de la restitution de la bande sonore. Certains auront l’oreille pour faire la différence entre 2 blocs, d’autres non. Par ailleurs, meilleure sera le traitement acoustique de votre pièce, plus vous serez en mesure d’entendre la différence.
Vous comprendrez maintenant pourquoi certains vous soulent parfois avec des blocs comme les Emotiva, Rotel ou ATI. C’est en se basant sur les specs.
Par exemple, prenons le bloc XPA-5 Gen 3 : https://emotiva.com/en-france/products/xpa-5-gen3. Il annonce 5 x 250W RMS (5 canaux actifs) avec un taux de distorsion inférieur à 0.1% sous 8 ohms, un SNR de 117 dB et un Damping Factor qui commence à être généreux de 500. On voit que c’est un excellent appareil sur le papier et confirmé par de nombreux testeurs. C’est également à des années-lumière que ce que peut vous restituer même le meilleur des intégrés. Est-ce que la différence de prix est justifié par rapport à d’autres blocs nettement moins chers ? C’est uniquement à vous de voir en fonction de vos finances, exigences, matos et pièce d’écoute. Le niveau d’exigence de chacun étant bien entendu par nature différent. Les finances aussi !
En effet, meilleures seront les specs, plus cher sera le bloc en général. Donc le budget reste le maitre principal de votre décision. Fixez-vous un budget max et cherchez le bloc aux specs les meilleures qui rentre dedans. N’oubliez pas d’aller voir du côté du marché de l’occasion car un bloc de puissance est quasi increvable. D’autres facteurs peuvent rentrer en ligne de compte comme l’esthétique de certains blocs (comme les superbes McIntosh ;)) ou tout simplement l’attachement à une marque particulière.
Sources supplémentaires :
– Tableau des décibels – niveaux de décibels des sons courants – Pulsar Instruments
– Big Six : rapport signal-bruit, silence s’il vous plait ! – Les Numériques (lesnumeriques.com)
– Qu’est-ce qu’un amplificateur audio ? – Sono Matériel, Le Blog (sonomateriel.com)
– Qu’est-ce que le rapport signal/bruit ? Peut-on l’améliorer et si oui, comment ? – Le blog de Son-Vidéo.com (son-video.com)
– En quoi consiste le facteur d’amortissement ? | Rotel
– Damping Factor Explained | KEF USA
– PS AUDIO: Damping factor – what it is and why it’s important – Audiophile News & Music Review (hifianswers.com)
– Slew Rate | Audio Science Review (ASR) Forum
J’espère que cela vous donnera les outils pour mieux comprendre votre matos et comment le choisir à l’avenir. Fouillez les specs, lisez les review pour aller plus loin que la tentative d’arnaque marketing. J’aurai aimé que l’on m’explique tout cela quand j’étais plus jeune et que je ne comprenais pas l’intérêt des blocs tout en mettant des enceintes énormes sur mon petit Denon 🙂